« Je vis dans un pays qui possède tant de bibliothèques que plus personne ne les remarque », confiait Gaël Faye en 2016 dans son roman Petit pays. Avec 15 500 sites répartis partout en France, les bibliothèques sont en effet, avec l’école, l’un des services publics les plus présents sur le territoire, en particulier dans certains quartiers prioritaires des politiques de la ville et dans les territoires ruraux. D’après l’Observatoire de la lecture publique, près de 93 % des Français résident à moins de 10 minutes en voiture d’un lieu de lecture.
Mais malgré ce maillage exceptionnel, les bibliothèques ont souffert de la crise sanitaire avec une baisse de près de 20 % de leur fréquentation entre fin 2019 et fin 2022. Aujourd’hui, après avoir mené plusieurs actions pour leur modernisation (qu’on songe seulement à la loi de 2021 qui concrétise des principes fondamentaux des bibliothèques publiques, ou la lecture déclarée grande cause nationale par le Président de la République en 2021-2022), le ministère a donc décidé de lancer, mercredi 6 septembre, une grande campagne de communication pour définitivement tourner la page.
Cette nouvelle campagne entend renforcer la visibilité des bibliothèques dans le paysage culturel français et corriger leur image, souvent en décalage avec leur transformation profonde opérée durant les quarante dernières années. Elles sont devenues médiathèques en ouvrant leurs collections à de nouveaux contenus mêlant savoirs et divertissement, ont numérisé leurs collections et leurs services et ont su développer de nouvelles formes de médiation en adéquation avec la diversité des publics, notamment les personnes en situation de handicap. Toute cette richesse de services culturels, éducatifs, sociaux ou numériques sera mise en valeur à travers plusieurs spots télévisés et radio et de l’affichage sur des panneaux et dans la presse. Outre cette campagne, quelque trois cents bibliothèques proposent des animations pour attirer à nouveau les habitants.
La bibliothèque, un lieu ouvert sur le monde
Les bibliothèques ne sont pas que des lieux d’emprunt et de consultation de livres, elles sont aussi, selon Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture, « des lieux de proximité, de pacification, de savoir et de transmission ». Depuis plusieurs années, elles ont élargi leurs missions pour devenir des endroits ouverts sur le monde, des espaces d’échange et de débats qui favorisent l’ouverture d’esprit et la pensée critique. À la bibliothèque Václav Havel, dans le 18e arrondissement de Paris, tous ces éléments font partie de l’ADN de l’établissement. « Quelque mois après l’ouverture, nous avons vu arriver un public de migrants qui venait pour utiliser les ordinateurs ou les prises pour charger leur téléphone, se souvient Stéphanie Azria, chargée des publics éloignés et de la médiation avec les publics allophones. Nous nous sommes dit qu’il fallait mettre en place des choses avec eux. » Ainsi sont nés une myriade d’ateliers, comme autant d’occasions de nouer le contact. « Les bibliothèques ont toujours été naturellement des lieux d’échange : de documents bien évidemment, mais aussi de savoirs, de pratiques, résume Pascal Ferry, le directeur de la médiathèque. Nous sommes attentifs aux occasions par lesquelles on se met en relation avec le public autrement que sur la base du prêt et du retour et ce qui caractérise notre époque contemporaine, c’est la multiplication de ces occasions. »
L’équipe a notamment développé des actions en direction des migrants. Chaque semaine, un groupe se réunit pour La Parlotte, un atelier de conversation en français pour pratiquer la langue. Ils peuvent bénéficier également de sorties culturelles dans des musées ou des découvertes d’autres bibliothèques. Depuis peu, l’association Utopia 56 tient une permanence hebdomadaire pour les aider dans leurs démarches administratives. « Ces publics allophones sont devenus des emprunteurs massifs car ils sont de gros consommateurs de livres de méthodes de langue, poursuit Pascal Ferry. Bien souvent, pour eux, la carte de bibliothèque arrive bien avant la carte de séjour. Il s’agit de leur premier lien avec la culture française. » Des cours de français langue étrangère (FLE) sont également dispensés.
Au-delà de ses missions de consultation et de prêt de documents, la bibliothèque vient en soutien plus globalement à la population du quartier. Les jeunes tout d’abord, avec un service d’aide aux devoirs qui va de l’école élémentaire au lycée. Les adultes ensuite avec des aides administratives avec par exemple un écrivain public bénévole – également formé à la langue des signes – qui va aider à l’écriture d’un courrier. Deux autres acteurs sont impliqués dans ces actions : l’association Asile, pour les recours demandés par les demandeurs d’asile et la ville de Paris qui vient garer chaque semaine son bus avec à son bord, des interlocuteurs sur différents services publics.
Enfin, dernières nés au sein de la médiathèque : une grainothèque et une bouturothèque qui permettent d’échanger des semences et des plants. « Nous vivons dans un milieu très urbain mais avec une inspiration au partage. Nous voulions sensibiliser le public au fait qu’il était possible d’avoir un rapport au végétal hors commerces et non marchand. » Ainsi, des bénévoles viennent donner des conseils et la bibliothèque organise, avec la ville de Paris, des ateliers dans les jardins Rosa-Luxemburg tout proches pour bien faire pousser leurs boutures.
Des outils numériques adaptés aux nouveaux usages
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Autre mutation engagée par les bibliothèques, celle du numérique. Les médiathèques enrichissent leur matériel avec des tablettes, des consoles de jeux ou encore des imprimantes 3D, et proposent désormais des ressources en ligne complémentaires des collections physiques avec de la vidéo à la demande, de la presse, des livres. Toujours à Václav Havel, des permanences numériques ont vu le jour avec l’association Colombbus. Trois fois par semaine, des créneaux sont ainsi dédiés à la prise en main d’outils informatiques. « Notre public est plutôt composé d’adultes mais nous réfléchissons à des manières d’aider les jeunes adultes, de la tranche 17-25 ans, sur la gestion de leur scolarité, l’accès à leurs droits ou des demandes de papiers », souligne Rémi Godard, chargé des actions numériques au sein de l’établissement qui a également lancé sa « Chapelle numérique », un fonds documentaire dédié à l’histoire du quartier, consultable sur place ou à distance.
Le ministère de la Culture a mis en place en 2010 le label « Bibliothèques numériques de référence » qui aide à capter de nouveaux publics et contribue à la modernisation des bibliothèques. À ce jour, 63 collectivités en bénéficient, comme à Bordeaux dont la première incursion dans le numérique remonte à 2006. « Il est important que les bibliothèques vivent avec leur temps pour éviter le risque que le public ne s’en éloigne, explique Dimitri Boutleux, maire-adjoint en charge de la culture de Bordeaux. Le numérique doit être au cœur de cette stratégie avec des captations vidéo pour des podcasts, la création d’une chaîne Youtube, le téléchargement d’e-books, les ressources à destination des chercheurs, des enseignants, la lutte contre la fracture numérique, l’illectronisme… »
La ville a développé une approche « très pragmatique centrée sur la notion d’accessibilité et d’inclusion au quotidien, notamment sur l’insertion sociale, l’apprentissage des langues et l’aide administrative », complète Yoann Bourion, directeur des bibliothèques de la Ville de Bordeaux. Elle mène également des projets de grande envergure de numérisation des collections patrimoniales comme par exemple celle de l'exemplaire original des Essais, entièrement annoté par Montaigne, datant de 1588. Conservé à la Bibliothèque de Bordeaux, ce chef-d’œuvre de la littérature a été inscrit au registre « Mémoire du Monde » de l'Unesco en mai dernier. Cette inscription a été accompagnée de la création d’un site internet grand public autour de Montaigne et d’une série d’actions de la Bibliothèque municipale pour valoriser ce document exceptionnel auprès de tous les publics comme l’aménagement, à l’entrée de la bibliothèque Mériadeck, d’un espace d’interprétation de l’Exemplaire.
Le pass Culture : attirer et fidéliser le jeune public dans les bibliothèques
En 2022, l’État a par exemple apporté plus de 120 millions d’euros aux collectivités territoriales pour la gestion de leurs bibliothèques. Cette somme a permis notamment de construire et équiper les bâtiments, élargir les horaires d’ouverture, développer des partenariats, former leurs personnels ou encore toucher de nouveaux publics… Restait à diffuser leur offre culturelle, notamment en direction des plus jeunes. C’est ainsi que le pass Culture, généralisé en 2021, s’est tourné vers les bibliothèques en permettant à ces lieux d’organiser des visites et de diffuser des offres afin de permettre aux moins de 18 ans de souscrire par exemple à un abonnement.
Aujourd’hui, presqu'un millier de bibliothèques sont référencées dans le dispositif, faisant du pass Culture l’un des outils de promotion de la lecture et de découverte de ces lieux de proximité. Les professionnels ont la possibilité de mettre en avant des événements littéraires, de partager des coups de cœur pour les membres du Book Club, de participer à des prix littéraires ou encore d’organiser des rencontres entre des jeunes bénéficiaires et des professionnels des métiers du livre. La campagne du 6 septembre renforce ce plan d'action pour incitant les bibliothèques à intégrer massivement le dispositif et à proposer des offres adaptées.
Le pass Culture a aussi permis d’attirer de nouveaux venus puisque seuls 32 % des utilisateurs s’étaient déjà rendus en bibliothèque avant d’en bénéficier. Il promet également de fidéliser des lecteurs : 45 % des utilisateurs qui ont déjà réservé au moins un livre via le pass Culture se disent intéressés par la possibilité de souscrire un abonnement auprès d’une bibliothèque ou d’une médiathèque. Le système de géolocalisation de l'application a enfin permis à un jeune sur deux de découvrir un nouveau lieu de lecture à proximité de chez lui.